Modification du code civil (éducation sans violence)

Depuis plus de quarante ans, Protection de l’enfance Suisse s’engage pour protéger les enfants de la violence. L’éducation sans violence ainsi que son inscription dans la loi sont de ce fait un enjeu central pour Protection de l’enfance Suisse.
lundi, 13 novembre 2023

La sixième vague de notre campagne nationale de sensibilisation « Il y a toujours une alternative à la violence » s’est déroulée durant l’automne 2023. Cette campagne repose sur les études scientifiques largement étayées de l’Université de Fribourg sur le comportement punitif des parents en Suisse, lesquelles sont réalisées sur notre mandat.

Protection de l’enfance Suisse aborde également le thème de l’éducation sans violence dans le cadre de cours destinés aux parents et soutient les éducateurs et les professionnels par le biais de matériel divers. Les valeurs d’expérience issues de cette complémentarité entre bases scientifiques et pratique sont intégrées dans la présente réponse. Protection de l’enfance Suisse a par ailleurs mené le 31 octobre 2023 un colloque national sur l’ancrage de l’éducation sans violence dans la loi et ses répercussions sur la prévention. Les conclusions de la discussion ayant réuni quelque 180 professionnels de toute la Suisse sont également prises en compte dans cette prise de position.

Appréciation générale

Protection de l’enfance Suisse salue expressément l’avant-projet visant à inscrire l’éducation sans violence dans le code civil. Des études montrent que la violence physique et psychologique envers les enfants fait toujours partie du quotidien en Suisse. Dans notre pays, près de 50% des enfants subissent au moins occasionnellement de la violence physique et/ou psychologique à la maison.1 Or il est scientifiquement prouvé que la violence comme méthode éducative n’a que des conséquences négatives et parfois durables pour les enfants concernés.2 Les résultats d’études soulignent la nécessité d’une réglementation légale : si les châtiments corporels sont de plus en plus considérés comme non conformes à la loi par les détenteurs de l’autorité parentale en Suisse, près d’un quart des parents considèrent cependant encore que les fessées sont permises.3 Lorsque les formes de violence sont jugées interdites, elles sont aussi plus rarement appliquées.4 De plus, deux tiers des parents sont d’avis qu’une inscription dans la loi du droit à une éducation sans violence favoriserait une évolution sociétale correspondante.5 Dans les faits, des expériences dans d’autres pays européens montrent que c’est l’association d’un ancrage de l’éducation sans violence dans la loi et de mesures de sensibilisation et de prévention correspondantes qui conduit à une réduction de la violence envers les enfants.

Dans le cadre de la procédure de rapport étatique sur la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant durant l’automne 2021, le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a une fois de plus instamment recommandé à la Suisse d’interdire toute forme de violence physique envers les enfants dans l’éducation.6 Le complément proposé pour l’art. 302 CC permettrait à la Suisse de répondre à cette recommandation, même si ce n’est pas encore l’interdiction absolue visée. L’introduction de l’éducation sans violence dans le code civil représente un signal fort et éloquent à l’égard des éducateurs. Cela renforce le travail de prévention et attribue une responsabilité accrue aux professionnels pour aborder le sujet avec les responsables légaux en cas de suspicion de violence. L’article pourra faciliter les entretiens de conseil, du fait qu’il constitue un signal universel et univoque.

Ainsi que le Conseil fédéral le souligne lui-même à plusieurs reprises dans le rapport explicatif, il faut, en plus de l’inscription du droit à une éducation sans violence dans la loi, sensibiliser les parents à ce droit de l’enfant et leur présenter des formes d’éducation non violentes. Les campagnes visant cet effet devraient être financées par l’État. Protection de l’enfance Suisse estime qu’il ne serait pas judicieux de laisser les cantons seuls responsables de la mise en œuvre de telles mesures. Des campagnes nationales doivent atteindre les enfants et les parents de la même manière dans toute la Suisse. Indépendamment de leur lieu de domicile, tous les enfants doivent pouvoir profiter de l’effet préventif dans une mesure identique. Une coordination de la sensibilisation au niveau fédéral s’impose donc à tout le moins. Les cantons doivent à cet effet attirer activement l’attention des parents et des enfants sur les offres de conseil et de soutien à leur disposition.

La violence dans l’éducation intervient généralement dans des situations où les détenteurs de l’autorité parentale se sentent dépassés. Des offres de conseil et de décharge, professionnellement compétentes et à bas seuil d’accueil, fournissent à cet égard une précieuse contribution pour soutenir les parents et aident ainsi à prévenir la violence dans l’éducation. La formation des parents est également essentielle. Protection de l’enfance Suisse attribue de ce fait une importance fondamentale tant au complément de l’alinéa 1 qu’au nouvel alinéa 4 pour mieux protéger les enfants contre la violence.

Remarques concernant l’art. 302 al. 1 CC

La motion Bulliard (19.4632) adoptée par le Parlement en décembre 2022 demande l’inscription du « droit à une éducation sans violence » dans le code civil. L’avant-projet se limite, pour les raisons évoquées dans le rapport explicatif, à imposer aux parents d’éduquer leurs enfants « sans recourir à des châtiments corporels ni à d’autres formes de violence dégradante ». Selon Protection de l’enfance Suisse, l’avant-projet constitue néanmoins un indispensable soutien de la prévention qui était attendu depuis longtemps. Il est clairement stipulé que les parents ne peuvent recourir à aucune violence physique dans l’éducation ni à des traitements dégradants (comprenant notamment la violence psychologique). Cette obligation d’une éducation sans violence peut être perçue comme un droit pour l’enfant de grandir sans violence. Afin de tenir compte de la position de l’enfant comme sujet de droit à part entière, il serait cependant souhaitable de mentionner explicitement son droit à une éducation sans violence dans le message relatif à la modification de la loi. Ce droit découle également du droit de l’enfant à une protection complète contre la violence selon l’art. 19 de la CDE-ONU. La référence à ce droit, associée à l’indication que le complément de l’al. 1 à l’art. 302 CC reflète ce droit et garantit le droit à la protection de l’intégrité physique et psychique des enfants, ancré dans l’art. 11 Cst ainsi que dans les art. 3, al. 1 et art. 19 CDE-ONU, mettrait en évidence l’aspect de la nouvelle disposition en lien avec les droits de l’enfant.

Protection de l’enfance Suisse approuve la formulation qui met l’accent sur le caractère dégradant des actes devant être évités dans l’éducation parce qu’ils blessent les enfants. Il est important que le message précise, de manière analogue aux explications fournies dans le rapport explicatif de l’avant-projet, ce qu’il faut entendre par « d’autres formes de violence dégradante ». Cela englobe tout ce qui rabaisse l’enfant et porte atteinte à sa dignité, c’est-à-dire toutes les formes de violence. Afin que la norme puisse être clairement interprétée, le message doit préciser que la formulation englobe, en plus de la violence physique, toutes les autres formes de violence telles que la violence psychique, la négligence, la violence sexualisée ainsi que le fait d’être témoin de violences au sein du couple parental, lesquelles sont parfois même plus fréquentes que les châtiments corporels. Le complément proposé à l’art. 302, al. 1 CC représente un fondement pour la sensibilisation et la prévention.

Remarques concernant l’art. 302 al. 4 CC

Le complément de l’art. 302 CC par un al. 4 est vivement salué. La violence des détenteurs de l’autorité parentale à l’égard de leurs enfants résulte souvent d’une sollicitation excessive qui déstabilise, frustre et conduit finalement à un comportement blessant. Un soutien adapté aux besoins est décisif pour prévenir la violence. Le soutien et la promotion des compétences éducatives dans le cadre de l’éducation non violente contribuent au renforcement de la protection consensuelle (volontaire) de l’enfant et peuvent être améliorés encore dans les cantons. Renforcer les mesures de protection de l’enfant décidées d’un commun accord (sous forme d’offres de conseil, d’aide et de soutien) permet de soulager les autorités dans leur rôle de protection de l’enfant.

La voie tracée par l’al. 4 vers un soutien accru des parents est la bonne selon Protection de l’enfance Suisse. Il ne s’agit pas de punir les parents, voire de les criminaliser, mais au contraire de les soutenir – par le biais d’une ligne directrice claire qui demande une éducation sans violence ainsi qu’à travers des offres de soutien qui les aident à concrétiser cette disposition légale dans le quotidien éducatif. Même s’il existe déjà des offres de consultation cantonales pour les parents (p. ex. conseil aux mères et aux pères, conseil en éducation, travail de proximité auprès des familles), celles-ci ne sont parfois que ponctuelles ou non accessibles partout dans la même mesure.7 De ce fait, une inscription dans le CC peut encourager l’émergence d’une offre de base nécessaire couvrant l’ensemble du territoire, à laquelle tous ont accès, indépendamment de leur lieu de domicile. Les offres cantonales doivent aussi être à bas seuil d’accès pour les enfants, ce qui est loin d’être le cas partout pour l’instant. Dans l’ensemble, le nouvel al. 4 est donc un complément important à l’art. 302 CC.

Dans la version actuelle du nouvel al. 4, seuls les « centres de consultation » sont mentionnés, alors que d’autres formes de soutien aux détenteurs de l’autorité parentale (comme notamment la formation des parents ou des offres de décharge) sont précieuses pour la prévention de la violence. Celles-ci doivent également être mentionnées dans le texte de loi à l’al. 4 sous un terme général.

L’art. 302 al. 4 CC devrait être complété comme suit :

« Les cantons veillent à ce que les parents et l’enfant puissent s’adresser, ensemble ou séparément, à des offices de consultation en cas de difficultés dans l’éducation et recourir à d’autres offres de soutien. »

Protection de l’enfance Suisse rappelle que ce sont surtout les jeunes enfants qui subissent des violences physiques. C’est ainsi qu’environ deux tiers des enfants de 0 à 6 ans reçoivent régulièrement des coups.8 Il ressort également des statistiques des hôpitaux pédiatriques que 45% des cas signalés concernent des enfants de moins de 6 ans, en sachant que le nombre de cas de maltraitance non identifiés est sans doute particulièrement élevé parmi les enfants les plus jeunes.9 À cet âge, ils ne peuvent pas chercher de l’aide eux-mêmes et avant l’entrée au jardin d’enfants, ils sont rarement en contact avec des professionnels, ce qui rend d’autant plus nécessaire la mise en place d’offres de soutien de proximité. Il existe encore des lacunes dans ce domaine et les familles en difficulté ne sont qu’insuffisamment atteintes.10

 

1 Schöbi, Brigitte ; Holmer, Pauline ; Rapicault Angela ; Schöbi, Dominik : Étude concernant le comportement punitif des parents en Suisse. Un suivi scientifique de la campagne de prévention « Idées fortes – il y a toujours une alternative à la violence » (bulletin des résultats 2/2022, Université de Fribourg, 2022. (lien

2 Gershoff, Elisabeth T. ; Grogan-Kaylor, Andrew : Spanking and child outcomes, Old controversies and new meta-analyses, In : Journal of Family Psychology, 30(4), p. 453–469, 2016 ; Plener; Paul ; Igantius, Anita ; Huber-Lang, Markus ; Fegert, Jörg M. : Auswirkungen von Missbrauch, Misshandlung und Vernachlässigung im Kindesalter auf die psychische und physische Gesundheit im Erwachsenenalter, In : Nervenheilkunde, Jg. 36, No. 3, p. 161 -167, 2017 (lien)

3 Schöbi, Brigitte ; Holmer, Pauline ; Rapicault Angela ; Schöbi, Dominik : Étude concernant le comportement punitif des parents en Suisse. Un suivi scientifique de la campagne de prévention « Idées fortes – il y a toujours une alternative à la violence » (bulletin des résultats 1/2022, Université de Fribourg, 2022. (lien)

4 Schöbi, Dominik; Kurz, Susanne; Schöbi, Brigitte; Kilde, Gisel; Messerli, Nadine; Leuenberger, Brigitte: Bestrafungsverhalten von Eltern in der Schweiz: Physische und psychische Gewalt in Erziehung und Partnerschaft in der Schweiz: Momentanerhebung und Trendanalyse, Universität Freiburg, 2017 (lien)

5 Schöbi et al. 2022, voir note de bas de page 3.

6 Comité des droits de l’enfant de l’ONU : Observations finales con-cernant le rapport de la Suisse valant cinquième et sixième rapports périodiques, CRC/C/CHE/CO/5-6, 2021 (lien)

7 cf. Conseil fédéral : Rapport sur les familles 2017, Rapport du Conseil fédéral en réponse aux postulats 12.3144 Meier-Schatz du 14 mars 2012 et 01.3733 Fehr du 12 décembre 2001, 2017, p. 45, 59 (lien)

8  Schöbi, Brigitte; Holmer, Pauline; Rapicault Angela; Schöbi, Dominik: Bestrafungsverhalten von Eltern in der Schweiz. Eine wissenschaftliche Begleitung der Präventionskampagne «Starke Ideen – Es gibt immer eine Alternative zur Gewalt», Universität Freiburg, 2020, p. 58 (lien)

9 Statistique nationale 2022 de la maltraitance des enfants, Société Suisse de Pédiatrie, Groupe de travail pour la protection de l’enfant des cliniques pédiatriques suisses (lien), p. 4

10 Walker, Philipp ; Steinmann, Sarina ; Tanner, Anna ; Strahm, Svenja ; Dini, Sarah ; Jung, Rebecca : Dienstleistungen für Familien – Begleit-, Beratungs- und Elternbildungsangebote für Familien ; [Bern: BSV]. Beiträge zur sozialen Sicherheit; Forschungsbericht Nr. 1/21, 2021, S. XI; XII) (lien)

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